Retour sur les notions d’éco-anxiété et de solastalgie

Il me semble important, avant de proposer une définition de la « collapsalgie » de revenir sur les concepts d’éco-anxiété et de solastalgie qui ont nourri cette réflexion et sont, à ce jour, les plus utilisés. J’en propose ici deux définitions succinctes et des suggestions d’ouvrages pour les approfondir. 

L’éco-anxiété est le concept le plus ancien. Il a émergé, dans les années 90, dans la sphère publique. C’est la journaliste Lisa Leff qui l’a utilisé pour la première fois, dans un article de journal où elle évoquait l’inquiétude relative à la pollution, dans la baie de Chesapeake. L’éco-anxiété peut être définie comme une forme de stress pré-traumatique. Il s’agit d’une souffrance prospective, déclenchée par une projection vers l’avenir et en lien avec la prise de conscience écologique. Ce qui est nouveau dans cette forme d’anxiété, ce n’est pas le ressenti en lui-même, mais c’est la cause qui la génère. 

Alain Braconnier parle, lui, d’une « mélancolie du futur », dans laquelle se retrouve la dimension prospective. Ce vague à l’âme est associé à une vision très pessimiste de l’existence. Elle provient d’un ressenti d’impuissance face à un avenir de plus en plus incertain et que nous ne pouvons maîtriser. 

Le néologisme de solastalgie a été créé Glenn Albrecht, un philosophe de l’environnement australien. Dans le début des années 2000, il observe un nouveau phénomène chez des fermiers de la vallée de l’Hunter, dont le cadre de vie et milieu naturel se retrouvent profondément dégradés par l’exploitation de mines de charbon à ciel ouvert. Il met en corrélation l’expérience de la perte d’un environnement connu et l’émergence d’une détresse psychique qu’il nomme « solastalgie ». À la différence de la nostalgie qui renvoie à un lieu quitté, la solastalgie fait référence aux ressentis vécus dans l’environnement actuel.

Ce qui distingue ces deux termes qui sont souvent employés de manière similaire, c’est la temporalité de l’expérience qui est faite par l’individu, plus que les manifestations de la détresse psychique. En cas d’éco-anxiété c’est la projection vers l’avenir qui génère la souffrance alors que la solastalgie provient d’une expérience directe de désolation et de perte faite dans un environnement. La détresse est prospective pour l’éco-anxiété, elle est rétrospective pour la solastalgie.

Pour approfondir le thème de la solastalgie, qui est à ce jour le plus théorisé, je vous invite à lire le magnifique ouvrage de Glenn Albrecht, Les émotions de la Terre.

Questionnement quant à l’utilisation majoritaire de la notion d’ éco-anxiété

Depuis l’été 2019 et les nouveaux records de température, les médias se sont saisis du terme d’éco-anxiété. Ces derniers mois ont vu affleurer de nombreux articles de presse, reportages, témoignages de personnes « éco-anxieuses ». Ce phénomène m’interroge d’autant plus que  j’éprouve aujourd’hui une certaine résistance à utiliser, dans ma pratique, la notion d’éco-anxiété. Ce ressenti, qui m’appartient, s’est construit progressivement suite à la publication des résultats de l’enquête sur l’éco-anxiété menée fin 2019. Il a émergé des réponses partagées par les participants à la question suivante : « En dehors de l’anxiété ressentez-vous d’autres émotions par rapport à ces enjeux de dégradation de la planète ? » L’un des grands enseignements extrait de cette enquête est la multitude de ressentis qui découle de ces phénomènes systémiques. En effet, plus de 83% des participants ont indiqué ressentir d’autres émotions que de l’anxiété. 175 termes différents ont été utilisés pour caractériser cette dimension émotionnelle. Parmi ces termes, 114 peuvent être qualifiés de « négatifs » (peur, tristesse, inquiétude, préoccupation, découragement…) et 61 de « positifs » (envie, émerveillement, joie…). Les cinq émotions qui sont majoritairement ressorties restent les suivantes : la colère (24,12%) la tristesse (18,30%) l’impuissance (8,78%) la peur (4,16%) et l’espoir (2,75%). La plupart des participants ont partagé plusieurs ressentis comme l’illustre ce verbatim : « Tristesse de perdre des trésors naturels. Joie de pouvoir encore en observer certains. Colère envers les destructeurs. Culpabilité d’en faire partie. Peur des conséquences sur nos sociétés. »

Ce panel de ressentis, qui va au-delà de l’anxiété, m’interroge quant à l’utilisation majoritaire de la notion d’éco-anxiété. Pourquoi ne parle-t-on pas d’ « éco-colère », d’ « éco-tristesse », ou encore pour les plus optimistes d’ « éco-joie » ? Je rejoins sur ce point spécifique Jean-Pierre Le Danff, écopsychologue, qui préfère le terme de  « souffrance écologique ». La notion de solastalgie,  quant à elle, prend en compte la pluralité de cette dimension émotionnelle.

Ma réticence à utiliser la notion d’éco-anxiété est aussi liée aux retours d’expérience des personnes que j’ai pu rencontrer. Elles ne se reconnaissaient pas forcément dans cette terminologie, me disaient en avoir parfois déjà fait le tour. Pourtant la dimension émotionnelle était loin de l’encéphalogramme plat. Elles ressentaient le besoin de parler, de partager, d’exprimer quelque chose d’un mal peut-être plus vaste.

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